Réforme de la représentation, émergence du numérique, qualité de vie au travail, la rentrée sociale s’annonce musclée.
« Les organisations syndicales se doivent d’être vigilantes mais il est important de souligner que tous les groupes bancaires signent des accords souvent très majoritaires, ce qui dénote un dialogue social fédérateur, vivace et productif », annonce André-Guy Turoche, directeur des affaires sociales de l’Association française des banques (AFB). Autrement dit, les syndicalistes n’hésitent pas à monter au créneau mais in fine les accords sont signés. S’il fonctionne encore bien, le dialogue social laisse apparaître des tensions sur fond de plans sociaux, restructurations des agences et pression sur les marges.
Cette année, les négociations ont été particulièrement tendues, suite aux accords liés à l’ordonnance dite Macron entrée en vigueur le 22 septembre 2017 et à la réforme de la formation professionnelle. L’ordonnance est le premier sujet de crispation. Elle fusionne les institutions représentatives du personnel en une seule instance : le comité social et économique (CSE). La crainte des syndicats est de disposer de moins de moyens et de moins de représentants du personnel. « Globalement, le climat social s’est tendu, confirme Mireille Herriberry, à la tête de la section banques et sociétés financières de Force ouvrière (FO). Certaines banques, comme LCL, ont refusé d’octroyer des représentants de proximité. »
« Nous perdons beaucoup de militants, qui avaient acquis une véritable expertise et du savoir juridique, poursuit Mireille Herriberry. Cela ne peut qu’affaiblir le dialogue social. » Le point de vue de FO est loin d’être isolé. « La question se pose avec beaucoup d’acuité dans les banques encore très territoriales, comme la Caisse d’Epargne, note Vladimir Djordjevic, de la CFTC. Certes, les élus ont bénéficié d’un accord de reconversion efficace, mais notre présence dans les agences est bien moindre alors que le réseau est en train de se restreindre et de se restructurer. » Un avantage, « cela a été l’occasion de discuter du fonctionnement, de reposer les choses avec la direction, qui a été à l’écoute ».
Les syndicats évoquent entre 25 % et 50 % de moyens en moins selon les établissements. « Je ne pense pas que l’impact soit si important, réagit André-Guy Turoche. Il y aura certes moins de mandats et de cumuls, mais la hausse du nombre d’heures par mandat ainsi que les aménagements fixés par les accords d’entreprise devraient équilibrer la balance. » Pour l’AFB, la réunion des instances est de nature à optimiser le processus, pour le bien de tous. « Les syndicats sont évidemment nécessaires. L’écosystème bancaire est en train de changer, et nous avons besoin de partenaires assurant le relais avec les salariés pour que cette mue se fasse », ajoute-t-il.
Compétences à redéfinir
La banque doit faire face à bien des enjeux, dont la plupart sont liés au numérique. Les clients font de plus en plus d’opérations en ligne : des agences ferment et la clientèle informée recherche une expertise poussée. « Le secteur bancaire a su absorber les vagues précédentes mais cette fois les enjeux sont encore plus importants que jamais en termes de compétences. Toute une population de salariés doit monter en compétences, nous devons gérer des reconversions, anticiper la disparition de certains métiers et l’apparition de nouveaux », analyse Luc Mathieu, secrétaire général de la fédération CFDT banques et assurances. Ces questions occupent aujourd’hui les négociations. A court terme, avec des marges contraintes, les banques surveillent de près les enveloppes d’augmentation. A plus long terme, il faut former la masse salariale pour la conserver et pour garder les établissements compétitifs. « Les banques se sont beaucoup concentrées sur des formations aux outils informatiques et normatifs, note Luc Mathieu. Or, que ce soit au plus haut niveau de la BFI ou au guichet d’une agence, ce qui distinguera le salarié des algorithmes est son empathie avec le client et sa créativité pour trouver des solutions. »
En outre, les logiciels et le fait de demander aux clients de constituer eux-mêmes leur dossier font gagner du temps. « Dans certaines banques mutualistes, les directions affirment que le temps dégagé doit permettre aux salariés d’approfondir la relation avec le client, conclut Luc Mathieu. Dans d’autres, comme à BNP Paribas ou à la Société Générale, cela permet de faire baisser les effectifs. »
Ces suppressions d’emplois sont aussi une façon de préparer l’avenir et certains partenaires sociaux le comprennent. « Confrontée à un environnement difficile et concurrentiel, la Société Générale se recentre sur son cœur de métier et tente de maîtriser l’évolution de ses frais généraux, reconnaît Pascal Colin, délégué national adjoint de la CFTC (3e syndicat). En renforçant sa situation capitalistique et en rémunérant ses actionnaires confortablement, elle s’efforce de rassurer les marchés et de conforter le bien-fondé de ses choix stratégiques. Les salariés, quant à eux, vivent moins bien ces transformations. » La mise en place de formations personnalisées, les aides à la mobilité, inscrites dans le cadre de l’accord emploi et d’accords spécifiques, sont là pour que chacun puisse trouver sa place dans l’entreprise. Pour autant, le niveau du turnover et l’implication moindre des salariés restent des sujets sensibles.
Le secteur bancaire a longtemps été un eldorado pour les salariés, qui pouvaient faire carrière dans un seul établissement, avec des conditions de travail avantageuses. En contrepartie, ces derniers étaient attachés à leur entreprise. Mais aujourd’hui, la charge de travail augmente, les possibilités de progresser diminuent. Stress, burn out et turnover n’épargnent pas le secteur. « Le réglementaire surcharge nos établissements. Parallèlement, il y a de moins en moins de créations de postes et de remplacements des démissions et des départs à la retraite », note Franck Brunella, délégué syndical de la branche Banque Populaire. « Toutes les semaines, des collaborateurs nous appellent à l’aide parce qu’ils craquent ! On voit des agents pleurer sur le terrain, ajoute Pascal Belouis, délégué syndical national CFTC au sein de HSBC France, qui dénonce des négociations complexes, « liées à la culture anglo-saxonne, éloignée du dialogue social à la française ». « On voit aussi beaucoup de démissions de jeunes en période d’essai, et ça, c’est nouveau », relève-t-il.
Charge de travail croissante
Le rapport de force est utilisé à plein, quitte à ne pas signer un accord. « Les syndicats du Crédit Mutuel ont refusé celui sur la qualité de vie au travail [QVT], explique Claude Bailer, président national SNB (affilié CFE-CGC). Nous ne parlions pas suffisamment du vrai problème : la charge de travail toujours croissante. » Le syndicat a accepté de signer, trouvant que cet accord constituait une avancée, notamment sur le télétravail. Mais les négociations ont finalement achoppé faute de consensus sur la charge de travail. « Cet accord ne traite pas le fond du problème, reconnaît-il. On nous propose des outils, comme un logiciel de gestion des e-mails, mais le réglementaire pèse bien plus que cela sur les épaules des salariés. »
Dernier sujet habituel de la rentrée, celui des rémunérations, encore lié à la transition numérique. « Les investissements colossaux dans l’informatique coûtent cher et ne sont pas réinjectés dans l’intéressement et la participation. Il y a une double pénalité pour les rémunérations : les augmentations sont de moins en moins globales, privilégiant les primes individuelles », annonce Xavier Deschamps, président de la fédération CFTC banques. Dans un contexte de taux bas et de marges contenues, les conventions, très favorables, du secteur ont tendance à être revues à la baisse. « Notre direction souhaite revoir à la baisse les congés, le système d’avancement automatique mais aussi les fiches de postes, avec des responsabilités qui progressent bien plus que la grille de salaires, détaille Didier Mérignac, délégué syndical groupe SNB du Crédit Mutuel Arkéa. Nous sentons que la direction veut désosser notre convention collective pour valoriser uniquement ceux qu’elle juge les plus méritants. Elle récompense la performance individuelle au détriment de mesures collectives. »
Les syndicats manœuvrent entre concessions et revendications. « Nous avons tous intérêt à discuter car les enjeux auxquels nous devons faire face sont immenses, note Samuel Mathieu, de la Caisse Régionale Crédit Agricole Nord-Est, membre du Sneca (Syndicat national de l’entreprise Crédit Agricole). Des métiers vont disparaître, d’autres seront créés. Nous devons nous assurer que personne ne sera laissé au bord du chemin. » Cela passe par des investissements massifs dans la formation des salariés, et une véritable politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
Retrouvez cet article sur le site de l’AGEFI