Jurisprudence sur les congés imposés en période Covid

Covid-19 : la CA de Paris exige des difficultés économiques pour imposer la prise de jours de RTT

L’employeur qui impose des congés aux salariés en application du dispositif dérogatoire mis en place dans le cadre de la crise sanitaire, doit justifier de difficultés économiques liées à la propagation du virus. C’est ce qu’affirme la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 1eravril, qui fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Prise en application de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’ordonnance nº 2020-323 du 25 mars 2020 permet temporairement aux employeurs d’imposer aux salariés, de façon unilatérale, la prise de jours de RTT à une date déterminée, dans une limite de dix jours. Cette faculté, indique toutefois l’ordonnance, intervient « lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 ». Suivant cette précision à la lettre, la Cour d’appel de Paris a sanctionné, le 1er avril dernier, sur recours d’un syndicat, la mise en œuvre de cette mesure par une entreprise qui ne rapportait pas la preuve de telles difficultés économiques. La solution ne manquera pas de faire débat, alors que nombre d’entreprises estiment devoir simplement justifier d’un intérêt lié aux difficultés d’organisation provoquées par la crise sanitaire pour recourir au dispositif (v. sur ce point les observations de Jean-Michel Mir et Olivier Giovenal du cabinet Capstan, en fin d’article). Saisie d’un pourvoi, l’éclairage de la Cour de cassation est attendu sur ce point.

Retour sur le dispositif exceptionnel permettant d’imposer la prise de JRTT

Afin de permettre aux entreprises d’affronter les fluctuations d’activité induites par la crise de la Covid-19, le gouvernement a pris des mesures dérogatoires au droit commun en matière de congés et de jours de repos jusqu’au 30 juin 2021. Celles-ci pourraient même être prolongées jusqu’au 31 octobre 2021, comme envisagé par le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (v. l’actualité nº 18288 du 19 avril 2021). Selon ces dispositions, « lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 », l’employeur peut imposer ou modifier unilatéralement, la prise de jours de repos dans la limite de dix jours, sous réserve de respecter un délai de prévenance d’au moins un jour franc. Sont visés par cette dérogation les jours prévus par accord collectif (accord de RTT notamment), par une convention de forfait, ou ceux découlant des droits affectés sur le compte épargne-temps (CET) que l’employeur peut imposer au salarié de débloquer (Ord. nº 2020-323 du 25 mars 2020, art. 23 et 4 modifiés par Ord. nº 2020-1597 du 16 décembre 2020, art.2; v. l’actualité nº 18030 du 27 mars 2020).

Une application contestée par un syndicat

Dans cette affaire, le groupe Sanofi a, par deux notes de service fait usage du dispositif dérogatoire précité afin d’aménager le planning de ses salariés ne pouvant pas recourir au télétravail :

– une première, datée du 26 mars 2020, imposant aux salariés la prise de JRTT dans la limite de 10, entre le 30 mars et le 17 avril 2020, et prévoyant la possibilité pour l’employeur de positionner des jours épargnés sur le CET lorsqu’ils ne disposaient plus de suffisamment de jours de repos à poser ;

– une seconde, datée du 29 avril 2020, prévoyant l’application des mêmes mesures à destination des salariés devant rester à domicile pour garder un enfant de moins de 16 ans, et des salariés vulnérables ou partageant le même domicile qu’une personne vulnérable « et dont l’activité ne permet pas le télétravail ». L’objectif était d’éviter l’application du dispositif d’activité partielle prévue par le gouvernement à compter du 1er mai 2020 pour ces publics, en leur imposant la prise de JRTT.

En mai 2020, un syndicat a assigné la société en référé devant le Tribunal judiciaire de Paris en invoquant un trouble manifestement illicite généré par l’application de ces notes de service, et demandant qu’il soit enjoint aux sociétés de rétablir les salariés concernés dans leurs droits et de recréditer les jours illégalement imposés ou prélevés. Selon le syndicat, le groupe Sanofi ne justifiait pas de difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19, permettant de faire application de ce dispositif dérogatoire. En outre, l’employeur ne pouvait choisir d’écarter par ce biais l’application du dispositif d’activité partielle mis en place pour les salariés personnes vulnérables ou devant rester à domicile pour garde d’enfants, celui-ci s’imposant à lui.

Débouté en première instance, le syndicat a vu ses arguments retenus par la Cour d’appel de Paris.

Des difficultés économiques liées à l’épidémie exigées par la cour d’appel

La cour d’appel affirme tout d’abord que « l’ordonnance nº 2020-323 du 25 mars 2020 prévoit expressément et clairement que la prise des mesures dérogatoires ne peut intervenir que lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 ». Elle en déduit « qu’il appartient aux sociétés du Groupe Sanofi de rapporter la preuve des difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19, ce qu’elles ne font pas, les mesures d’adaptation dont elles excipent ne les caractérisant pas ».

Les sociétés du groupe avaient en effet plaidé avoir dû adapter leur organisation, face à une augmentation inattendue de l’absentéisme tenant au fait qu’une partie de leurs collaborateurs se trouvaient à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail, mais aussi par la nécessité d’aménager les espaces de travail et d’adapter le taux d’occupation des locaux en raison des conditions sanitaires. Justifications jugées insuffisantes par la cour d’appel. Tirant les conséquences de son analyse, la cour conclut en l’espèce à l’existence d’un trouble manifestement illicite du fait de la note de service du 26 mars 2020 mise en œuvre sans avoir justifié de difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19.

Le trouble manifestement illicite a également été retenu s’agissant de la seconde note de service du 29 avril : les sociétés ne pouvaient pas faire application des mesures dérogatoires en matière de jour de repos, pour traiter les situations des salariés vulnérables, partageant le même domicile qu’une personne vulnérable ou contraints de garder leurs enfants. Ces situations étant limitativement énumérées par le I de l’article 20 de la loi nº 2020-473 du 25 avril 2020, qui prévoit, et ces dispositions sont impératives, que ces salariés « sont placés en position d’activité partielle ». Une position conforme à celle du ministère du Travail qui a précisé, dans un questions-réponses, que « la mobilisation de l’activité partielle pour ces publics s’impose à l’employeur, qui ne peut pas refuser leur placement dans le dispositif » (Ministère du Travail, questions-réponses sur le Dispositif exceptionnel d’activité partielle au 5 mai 2020 ; v. le dossier pratique -Empl. & chôm.- no 91/2020 du 15 mai 2020).

Tout en reconnaissant le trouble manifestement illicite, la Cour d’appel de Paris a cependant jugé irrecevable la demande du syndicat tendant à enjoindre aux sociétés concernées de recréditer les salariés au titre des jours de RTT illégalement imposés et des droits illégalement prélevés sur le CET : « il s’agit de mesures individuelles qui ne relèvent pas de la défense de l’intérêt collectif de la profession mais, le cas échéant, de la seule compétence d’attribution de la juridiction prud’homale ».

Un arrêt source d’insécurité juridique

Pour Jean-Michel Mir, avocat associé, et Olivier Giovenal, avocat (cabinet Capstan), qui sont intervenus pour le groupe Sanofi dans ce dossier, « l’enjeu de cet arrêt est double :

– politique et économique : la solution retenue contredit l’objectif affiché par le législateur dans la loi d’habilitation du 23 mars 2020, de permettre à tout employeur d’imposer de façon limitée la prise de jours de repos/jours épargnés sur un CET, pour “faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie”. Faisant fi de la loi, des travaux préparatoires (notamment les débats parlementaires au cours desquels des amendements visant à restreindre l’utilisation du dispositif aux “entreprises réellement en difficulté” ont été rejetés) et du rapport au président de la République sur l’ordonnance, l’arrêt impose à l’employeur ayant mobilisé ce dispositif “de rapporter la preuve de difficultés économiques” en ne tenant compte que de l’ordonnance du 25 mars 2020 ;

– la sécurité juridique : l’employeur se voit en l’espèce contester le bénéfice de ce dispositif, au seul motif qu’il n’aurait pas rapporté la preuve de difficultés économiques particulières, en écartant au passage les justifications présentées. Or, cette exigence de démonstration préalable de difficultés économiques particulières est contraire au texte de la loi d’habilitation. De plus, ni le législateur ni la Cour n’ont précisé la définition des difficultés économiques dans le cadre précis de l’ordonnance. Faute de définition légale et l’analogie avec la définition du motif économique de licenciement étant écartée, l’employeur souhaitant mobiliser ce dispositif se retrouve, avec une telle décision, dans une situation d’insécurité juridique totale.

Cette insécurité juridique trouvant sa source dans le texte de l’ordonnance et l’interprétation qui en est faite par la Cour, on ne peut qu’inciter le gouvernement à prendre en considération cette problématique dans la préparation des prochains textes qui devraient prolonger l’application de ces dispositifs jusqu’à octobre 2021 ; ne serait-ce qu’au regard des objectifs de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la Loi auxquels le législateur est astreint. »

Cour d’appel de Paris, Pôle 6, Chambre 2, Arrêt du 1 avril 2021, Répertoire général nº 20/12215

Source : Liaisons sociales

Jurisprudence sur les congés imposés en période Covid
Retour en haut